La Galerie Garnier Delaporte
présente
les gravures et peintures récentes de
Renaud ALLIRAND
du samedi 1er juin au 7 juillet 2013
vernissage samedi 1er juin à partir de 17 heures
ouvert le jeudi et vendredi de 16 à 19 heures
samedi et dimanche de 14h30 à 19h30 et sur rendez-vous
Galerie Garnier Delaporte
Chavignol
18300 Sancerre
http://www.galerie.garnierdelaporte.com/index.php
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galerie@garnierdelaporte.com
GPS
Lat. 47.3374555
Long. 2.7958097
à 2 heures de Paris par l'A6 et l'A77
à 45 km de Bourges
direction Auxerre (N151)
puis Sancerre (D955)
et à 8 km de la sortie 24
aire des vignobles
http://www.galerie.garnierdelaporte.com/expositions.php
Dans l'atelier de Renaud Allirand
On dirait de certaines œuvres qu'elles viennent d'être achevées — qu'elles demeurent pour jamais dans la fraîcheur de leur venue. Et ce que l'on peut dire des dernières toiles de William Turner, des encres d'Henri Michaux ou des peintures de Mark Rothko se vérifie encore chez Renaud Allirand, dans ses divers travaux, encres, gouaches, peintures, gravures ou photographies.
La sobriété des œuvres de Renaud Allirand frappe tout d'abord : il s'agit d'un art de l'épure, où lignes, traits et couleurs concourent à l'évocation de beaux silences, de beaux abîmes, pour leur laisser, dirais-je, toute la place. Traits, taches, lettres matérielles, calligraphies de rêves, lignes de couleurs accueillent ou révèlent ce qui était tu, mais comme en chuchotant — chantant l'espace vide.
Mais c'est aussi un art de la lumière et de l'ombre — de la source de l'ombre, telle l'origine mythique de la peinture. Se souvient-on que selon Pline l'Ancien la peinture aurait été inaugurée par la fille d'un potier, Dibutades (une scène dont Joseph-Benoît Suvée a fait un beau tableau, en 1791), laquelle, lors du départ à l'étranger de son bel amant, en traça, sur le mur de son logis, à la lumière d'une bougie, le profil qu'elle emplit alors de noir ? (1) Ainsi peut-être d'une encre de Renaud Allirand : elle vient après, comme le souvenir d'une ombre perdue, qui redevient alors, sur un support choisi, une ombre portée.
L'artiste crée un univers de signes instables : c'est dire qu'il suggère plutôt qu'il expose. Un regard sur les écrits de Renaud Allirand laisse penser que l'œuvre est d'abord née d'une très ancienne insatisfaction, d'une défiance très tôt ressentie face au langage verbal. Dans un livre-objet de sa composition, Vivre (2003) — textes et gravures en regard —, il écrit en effet, dès l'incipit : « Enfant, / j'étais persuadé que je ne possédais qu'une certaine quantité de mots à dire, / pour toute la vie. / Je les économisais au point de ne plus parler ou presque. / Sablier de mots : ils s'égrenaient et résonnaient sans échos. / Des lettres aux mots, la chrysalide mourait si vite, / étouffée, étouffante... La vie était ailleurs. » (2)
Certes, renoncer à la forme « signifiante » et « figurative », aux mots prétendument « immédiats », c'est parfois risquer le vertige du non-sens, mais aussi celui de l'arbitraire redoublé, facile, trop facile! et c'est tenter dangereusement la folie guettant toujours l'informe ; or la danse du pinceau, de la pointe ou du crayon, ordonnance l'indécis, et, s'avançant sur le fil tendu de l' « abstraction » — la si mal nommée —, le soulève et l'étend. Pur geste, le signe ne s'interrompt plus dans le sens, dans la définition, dans l'univocité : il se dévoile en train de se déployer.
« La vie était ailleurs », écrit Renaud Allirand... Elle l'était, elle ne l'est plus, elle s'est épanchée dans cet « ailleurs » appelé, et toujours poursuivi dans l'œuvre.
... Ailleurs, dans les signes amples, sensuels et libres de l'encre et du trait, dans leur légèreté, dans l'inépuisable de leurs "sens", dans leur parole silencieuse. J'ai écrit «lettres matérielles » : c'est que le peintre est peintre jusque dans le poème, et que le mot est traité par la ligne et le trait. J'ai écrit « calligraphies de rêves » : c'est que parfois se manifestent sur le papier les bribes d'un langage étrange, utopique (sinon dans le « lieu » équivoque du support), que ne circonscrivent nuls dictionnaires ni lexiques. Reconnaîtra-t-on des
caractères romains, grecs, arabes, chinois ? Pur hasard, ou pure épiphanie de la lettre et du signe...
... Ailleurs, dans les gouaches, qui célèbrent chez Renaud Allirand la couleur de manière aniconique ; elles la célèbrent en tant que matière, pure jouissance de matière tactile, de grain. Observons ces rouges, ces jaunes, ces bleus, toutes ces couleurs à la fois rutilantes et sombres, jaillissant du noir. Il y a toujours quelque chose d'obscur et de grave dans ces œuvres, une difficulté de lumière, mais lorsque la lumière des couleurs perce en elles, c'est d'une manière irradiante, ainsi qu'un phare, ou la lumière d'une bougie que l'on approche brusquement d'un objet. Ou bien c'est une lueur inattendue, comme un mot rare et oublié dans un poème, comme un oiseau qui soudain passe dans un caligineux ciel d'hiver. On voudrait parfois toucher, derrière la vitre qui les protège, les gouaches et les encres de Renaud Allirand, comme on aimerait toucher, pour y vivre, les paysages de John Constable ou de William Turner...
Et sans s'avancer sur le périlleux chemin de la synesthésie, ne peut-on évoquer ici l'amour de l'artiste pour la musique ? Le peintre confie que fréquemment, en effet, il lui arrive de travailler à ses œuvres tout en chantant : c'est peut-être une chanson secrète, une chanson intime de couleurs, qui sourd de la toile.
L'eau vive, l'eau sombre et claire de l'aquarelle, dont Turner avait magnifiquement inondé la peinture à l'huile, Renaud Allirand l'étend encore à la gravure, à la photographie. Dès lors, que l'artiste esquisse, dans ses gravures, d'étranges silhouettes, des paysages semblant venir d'un "lointain intérieur", où la nature n'est plus imitée, mais signifiée et retrouvée par la vivacité du trait, — qu'il évoque l'architecture (tranche, pages et dos) d'un livre ou les rayons lumineux d'un astre, la structure métallique d'un mystérieux bâtiment (serait-ce une usine désaffectée ? un château ruiné ? ou le gréement d'un navire oublié ?), un toit troué sur le ciel du papier ou de la plaque de cuivre —, que l'artiste convoque encore, dans ses photographies, l'ombre et la fragilité (photographies qui pourraient tout aussi bien s'intituler skiagraphies, « peintures d'ombres », selon Apollodore, le peintre d'Athènes qui, au Ve siècle avant notre ère, fut surnommé le Skiagraphe par ses contemporains, pour la qualité de ses ombres picturales dont il fut, avec Zeuxis, l'initiateur (3)),— qu'enfin, sur le papier, tous les horizons de ses couleurs lézardent ou scandent de larges aplats de couleurs, donnant naissance à ces tons indéfinissables dont parlait Michel-Eugène Chevreul (4), Renaud Allirand offre au regard attentif les traces vivantes et le rappel — l'écho — d'une présence incessante.
Frédéric Tison
avril 2012
______ Notes (1) « Dibutades de Sicyone, potier de terre, fut le premier qui inventa, à Corinthe, l'art de faire des portraits avec cette même terre dont il se servait ; il dut son invention à sa fille : celle-ci, amoureuse d'un jeune homme qui partait pour un lointain voyage, renferma dans des lignes l'ombre de son visage projeté sur une muraille par la lumière d'une lampe ; le père appliqua de l'argile sur ce trait, et en fit un modèle qu'il mit au feu avec ses autres poteries. On rapporte que ce premier type se conserva dans le Nymphaeum jusqu'à la destruction de Corinthe par Mummius. » Pline l'Ancien, Histoire naturelle, Livre XXXV, XLIII (12). (2) Renaud Allirand, Vivre (2003). (3) Selon une tradition que relaye Plutarque, dans La Gloire des Athéniens. (4) « Mettre une couleur sur une toile, ce n'est pas seulement teindre de cette couleur tout ce qui a touché le pinceau, c'est encore colorer de la complémentaire l'espace environnant ; ainsi un cercle rouge est entouré d'une légère auréole verte, qui va s'affaiblissant à mesure qu'elle s'éloigne ; un cercle orangé est entouré d'une auréole bleue ; un cercle jaune est entouré d'une auréole violette et réciproquement.» Michel-Eugène Chevreul, De la Loi du contraste simultané des couleurs (1839).
In Renaud Allirand's Studio
Certain works of art look as though they've just been completed: they retain forever the freshness of their making. What can be said about William Turner's late canvases, Henri Michaux's ink drawings or Mark Rothko's paintings still holds true in Renaud Allirand's art, in his ink drawings, gouaches, paintings, prints and photographs.
The austerity of Renaud Allirand's work is at first striking. It's an art of essential geometry: lines, marks and colors come together to suggest resplendent silences and sublime ruptures, leaving them, I would say, the totality of the pictorial space. Lines, marks, “material letters”, dream calligraphies and traces of colors contain or reveal what had been muted, but like a whisper, they sing the empty space.
Renaud Allirand's art is also about light and shadow – the shadow's source, as it's recounted in the mythic origins of painting. Remember that according to Pliny the Elder, painting had been invented by the daughter of Dibutades, a potter. Before her lover's depart on a long journey, she outlined his handsome profile on the wall of her house by candlelight, and then blackened in the contours (1). (Joseph-Benoît Suvée represents the scene in a painting from 1791). We could thus perhaps say of Renaud Allirand's ink drawings that they come into being afterwards, like the memory of a lost shadow, which then becomes, on canvas or paper, a cast shadow.
The artist creates a universe of unstable signs: in other words, he suggests rather than shows. A look at Renaud Allirand's writings leads us to think that his work initially sprang from a past frustration, a defiance felt early on when he was faced with verbal language. In his book-object Vivre (To Live), from 2003, – which combines text and original etchings – he writes: “As a child, / I was persuaded that I had in my possession only a limited number of words to say, / for my whole life. / I saved them up to the point of no longer, or barely, being able to speak. / An hourglass of words: they meshed and resonated without echo. / From letters to words, the chrysalis died so quickly, / suffocated, suffocating… life was elsewhere.”
Of course, to renounce “signifying” and “figurative” form and supposedly “immediate” words is to sometimes risk the confusion of nonsense and increased arbitrariness. It's easy, too easy! It also dangerously tempts the senselessness that's always hovering near the “informal”. Yet the dance of the paintbrush, the drypoint needle or the pencil, moving along the thread of “abstraction” (a misnomer), brings structure to undetermined form and expands upon it. As pure gesture, the sign is no longer broken off from meaning, definition or univocity: it reveals itself in the process of unfurling.
“Life was elsewhere,” wrote Renaud Allirand… It was and it no longer is. Life poured itself out in this “elsewhere” called forth and unceasingly explored in the work.
… Elsewhere: it resides in the free, ample and sensual signs drawn in ink; it resides in their lightness, in the multiplicity of their meanings, in their silent speech. I wrote “material letters” because the painter is a painter even when he writes poetry: words are treated as lines and marks. I wrote “dream calligraphies” because sometimes a strange utopian language, for which there is no dictionary or lexicon, appears in his works on paper (or in the ambiguous space of the picture plane). We may think that we recognize Roman, Greek, Arabic or Chinese characters, but it's pure coincidence, or an epiphany of letter and sign…
…Elsewhere: it resides in Renaud Allirand's gouaches that celebrate color in an “an-iconic” manner; they celebrate it as material, as pure joy of tactile material and texture. Looking at these reds, yellows and blues, all of these colors are both shimmering and dark; they surge up from the black. There remains something obscure and solemn about these works, as if it were difficult for light to penetrate them. But once the light does break through, it radiates out like light coming from a lighthouse, or like candlelight hastily cast upon an object. Light can also appear as an unexpected glimmer, like a rare and forgotten word used in a poem or a bird that suddenly flies across a foggy winter sky. Sometimes we'd like to reach across the glass frame to touch Renaud Allirand's gouaches and ink drawings, just as we'd like to touch the landscapes of John Constable or William Turner so that we could live there…
Couldn't we bring up here, without venturing towards synesthesia, the artist's love of music? The painter confides that he in fact often sings while he works. His song is perhaps secret, an intimate song of color that deafens the canvas.
The vibrant, dark and light fluidity specific to watercolor that Turner used to stunningly flood his oil paintings can still be seen in Renaud Allirand's prints and photographs. In his prints, whether he sketches strange silhouettes or landscapes that seem to emerge from a “faraway interior space”, where nature is no longer imitated but signified and rediscovered through vivacious mark-making; whether he suggests the structure of a book (the binding, the pages and the cover) or the luminous rays of a comet, the metallic structure of a mysterious edifice (might it be an abandoned factory, a run down castle or the rigging of a forgotten vessel?), a roof with holes that opens up to a paper sky or a copper plate; whether the artist yet again calls forth shadow and fragility in his photographs (which could also be called skiagrams, or “shadow paintings”, thus named after Apollodorus, an Athenian painter from the 5th century B.C. and creator, with Zeuxis, of shadow pictures; he was known as the Skiagrapher for the quality of his work (3)); at last, whether in his works on paper the horizons of his colors fracture and articulate large flats of color which create these indescribable tones that Michel-Eugène Chevreul wrote about (4), Renaud Allirand gives the attentive spectator living remnants and the reminder – the echo ¬– of an incessant presence.
Frédéric Tison
April 2012
Translation by Diana Quinby
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(1) “Dibutades, a potter from Sicyon, was the first to invent, in Corinth, the art of making portraits from the clay that he used for his pots. He owes his invention to his daughter: in love with a young man who was soon to leave on a long journey, she outlined the shadow of his face projected on to a wall by lamplight. Dibutades applied clay to the contours thus producing a portrait relief, which he fired with his other pots. It's said that this first ceramic portrait was kept in the Nymphaeum up until the destruction of Corinth by Mummius.” Pliny the Elder, Natural History, Book XXXV, XLIII (12). The present translator translated this English quotation from the French version of Natural History.
(2) Renaud Allirand, Vivre (2003).
(3) According to a tradition related by Plutarch in On the Glory of the Athenians.
(4) “Putting color on canvas does not only mean staining with this color everything that came into contact with the paintbrush. It also means coloring the surrounding space with its compliment. A red circle is thus surrounded by a faint green halo that progressively weakens the further away it is from the red. An orange circle is surrounded by a blue halo; a yellow circle is surrounded by a violet halo and vice versa.” Michel-Eugène Chevreul, The Principles of Harmony and Contrast of Colours (1854 for the English version). The present translator translated this English quotation from De la Loi du contraste simultané des couleurs (1839).