Le récent ouvrage Le Partage du sensible : esthétique et politique (Paris, La Fabrique Editions, 2000), du philosophe Jacques Rancière permet de reposer la question du rapport entre esthétique et politique, en s'écartant des schémas habituels du militantisme ou de l'esthétique de choc. L'esthétisation du quotidien étant un fait - qu'on peut déplorer -, son ubiquité ne fournit pas pour autant des espaces pour rejouer symboliquement ce que Rancière appelle « un commun partagé ». Les artistes investissent aujourd'hui les espaces sociaux et culturels selon des modes qui définissent leur activité comme une pratique plus proche d'une activité de gestes et d'évènements que comme la construction méticuleuse d'une œuvre-source-document.
L'exposition Communauté a été pensée comme une réflexion autour des langages esthétiques avec lesquels les artistes abordent la question de ce qui fait une communauté, ses fonctionnements, ses échanges, ses règles, ses comportements, ses mémoires… Pour ce deuxième volet de Communauté, qu'ont rejoint les artistes Adrian Piper et Dan Perjovschi, il a été demandé aux artistes déjà présents dans le premier volet de prolonger le travail qu'ils y avaient proposé : Melik Ohanian (Selected Recordings) et Anri Sala ont répondu avec deux contributions inédites de travaux photographiques ; Christophe Berdaguer et Marie Péjus, ainsi que Sam Durant ont complété leur première installation par la mise en scène de nouveaux éléments. Dan Perjovschi présentera le premier acte d'une série de dessins qu'il constitue dans le temps et l'espace : son projet consiste à envoyer par la poste des dessins sur cartes postales pendant plusieurs mois, et Communauté 2 présentera le fruit de son travail de mars à juin 2004. Enfin, d'Adrian Piper sera présentée I/You (Us) que la Collection FRAC Rhône-Alpes a acquis récemment : cette série sur l'« être mythique » agit de façon singulière au sein du spectre de langages esthétiques de Communauté 2, jouant de manière paradoxale à sur la question de l'intention de l'auteur et sur la relation au message dans les systèmes d'information et de communication.
Un certain nombre d'œuvres de Communauté 2 éclairent des situations où l'individualité est au centre du dispositif : la sculpture de Jimmie Durham célébrant la souveraineté individuelle, le film Re(hers)al de Constanze Ruhm (très remarqué à la dernière Biennale de Berlin) dont le scénario a été construit à partir des rencontres improvisées d'un groupe de femmes, le projet pour un parc public de la contre-culture de Sam Durant, les stigmatisations d'Henrik Olesen d'une morale sexuelle convenue et rivée à des schémas figés et enfin la critique acerbe d'Adrian Piper des constructions identitaires contraintes par la race. Le géopolitique et le « géographique » vu comme un territoire mental sont à l'œuvre aussi bien dans les protocoles de performances psycho-géographiques de Francis Alÿs que dans l'architecture temporaire à base de source d'énergie fluctuante Christophe Berdaguer et Marie Péjus ou dans la décomposition des contours des frontières des pays des Balkans d'Elena Panayotova sans oublier les caricatures philosophico-politiques du Roumain Dan Perjovschi.
Cet ensemble d'œuvres a été réuni pour témoigner d'une des orientations récentes de la politique d'acquisition de la Collection FRAC Rhône-Alpes. Elle se concentre sur des pratiques artistiques réagissant aux phénomènes sociaux et politiques des sociétés contemporaines et relevant d'une complexité esthétique non conformiste. Communauté ne propose pas des travaux revendiquant des partis pris micro-politiques ou des identitarismes fragmentés issus d'une certaine compréhension de la « globalisation ». Elle ne fait pas le procès du communautarisme grandissant, pas plus qu'elle ne réunit les artistes à partir de critères d'appartenance ou d'origines nationales ou ethniques. Elle fait place à des artistes qui, hors de tout contexte globalisant idéologiquement imposé, rendent compte des transformations du paysage culturel et social. Par des mises en espace, des procédures et des formulations symboliques appropriées, ils donnent à voir comment se constitue une « communauté ». Souvent, ces artistes s'adressent à plusieurs communautés en même temps, eux-mêmes originaires d'une culture ou d'un pays mais travaillant régulièrement dans d'autres territoires géographiques et communiquant en permanence avec d'autres perceptions. Ainsi se dessine une communauté cosmopolite, celle des arts visuels attentive aux transformations de la société.
Communauté a l'ambition de mettre en valeur des situations où chacun se projette et où se construisent des allers et retours entre l'individu et le collectif. Les œuvres mettent l'accent sur des processus de régulation des espaces sociaux peu médiatisés. Communauté est structurée à partir des mixités et des jeux de croisement et de la mise en lumière des situations de tension entre individualité et collectivité. Elle est pensée comme une rencontre entre des « individus » et ne se fonde pas sur une analyse typologique des « identités » telle qu'elle a été élaborée par l'histoire et la tradition et telle que la prône un communautarisme revendicateur aujourd'hui résurgent. Elle s'articule comme une déambulation à travers une dizaine d'espaces, chacune consacrée au travail d'un seul artiste, à un scénario contrastant aussi bien par les différences façons de rendre visible des problématiques esthétiques et politiques.
Publication: Communauté, numéro spécial de la revue Semaine (n° 12, 2 juillet 2004, 32 p., ill. en couleurs), 4 €, disponible à la librairie de l'IAC et aux éditions Analogues www.analogues.fr
Institut d'Art Contemporain
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