Dogan à–zgà¼den est l'un des vrais démocrates turcs en exil. Rédacteur en chef du site turc de Belgique Info-turk.be http://www.info-turk.be/ (à ne pas confondre avec le site négationniste Info-turc.org), il est menacé de mort par les extrémistes négationnistes de Belgique en raison de ses actions en faveur de la reconnaissance du génocide arménien. Invité pour les commémorations du génocide arménien à Lyon ce 24 avril 2009, il a tenu à la tribune le courageux discours que voici :
Intervention de Dogan à–zgà¼den à Lyon le 24 avril 2009
Chers amis,
Aujourd'hui nous commémorons le premier génocide du 20e siècle dans une confusion totale en raison de l'offensive diplomatique d'Ankara digne des grandes manipulations ottomanes. Juste la veille de cet anniversaire, Ankara a annoncé la mise en place d'une "feuille de route" destinée à normaliser les relations entre l'Arménie et la Turquie.
Une promesse d'ouverture des frontières turco-arméniennes liée toutefois à plusieurs concessions de la part de l'Etat arménien. Renvoyer la reconnaissance du génocide des Arméniens aux calendes grecques, imposer à Erevan les conditions de l'Azerbaà¯djan sur le Nagorny Karabakh... Et le plus important, faire oublier au nouveau président américain Obama le mot génocide !
Pour imposer leur diktat, les dirigeants d'Ankara exploitent la situation du peuple de Hayastan qui souffre de problèmes économiques et sociaux en raison du blocus de la Turquie.
Les médias turcs applaudissent déjà cette démarche de dernière minute comme un coup mortel à la diaspora arménienne qui attendait d'Obama la prononciation du mot génocide.
On est bien habitué à ce type de manÅ“uvres diaboliques du régime d'Ankara. Tout peuple victime de ce régime répressif d'Ankara a avalé plusieurs fois cette pilule amère. Quelques petits gestes, quelques promesses... Une marche de cadence de Janissaires. Un pas en avant, deux pas en arrière. Non seulement les Arméniens, les Kurdes, les Assyriens, les Grecs, mais aussi les contestataires turcs souffrent depuis des décennies de cette politique sinistre.
Les gouvernements des pays démocratiques européens, quant à eux, sont déjà devenus les marionnettes de ce jeu politique.
Si aujourd'hui je suis ici avec vous, c'est pour rappeler que, malgré toutes les manÅ“uvres du régime d'Ankara, il y a en Turquie un réveil considérable à l'égard du génocide des Arméniens, qualifié là -bas de "grande catastrophe".
A l'initiative de l'Association des Droits de l'Homme c'est la première fois aujourd'hui, qu'on commémore à Istanbul le début du génocide des Arméniens déclenché par l'arrestation de toute l'élite arménienne : intellectuels, hommes politiques et religieux...
Il s'agit de la troisième étape importante d'un long chemin de reconnaissance de ce génocide dans un pays qui se trouve toujours sous la répression d'une oligarchie militaro-politique farouchement négationniste.
Il y a deux ans, après l'assassinat de Hrant Dink, des dizaines de milliers de personnes scandaient dans les rues d'Istanbul : "Nous sommes tous des Hrant Dink, nous sommes tous Arméniens".
Il y a quelques mois, 30 mille défenseurs des droits de l'homme ont signé une déclaration demandant pardon aux Arméniens. Depuis lors, les noms des signataires sont affichés dans les médias nationalistes comme "traà®tres à la patrie et à la nation turque" souvent avec l'appel à la vengeance : "N'oublie jamais ces noms maudits !"
En ce jour de commémoration, je me permets de répéter devant vous, descendants de plus d'un million de victimes du génocide : "Je vous demande pardon !".
Il ne s'agit pas d'une demande seulement en tant que Turc.
Il s'agit également d'une demande de pardon en tant qu'être humain, défenseur des droits de l'homme.
En tant qu'exilé politique loin de mon pays natal depuis plus de trente ans, je suis témoin de la complicité des pays démocratiques européens avec le régime d'Ankara dans la négation du génocide des Arméniens.
Donc, personnellement pour moi, il s'agit aussi d'un pardon au peuple arménien en tant que citoyen européen.
J'ai été témoin, il y a plus de vingt ans, de l'adoption de la reconnaissance du génocide arménien par le Parlement européen.
Aujourd'hui, les parlementaires européens se taisent devant les chantages d'Ankara. On ne parle plus du génocide des Arméniens.
Encouragé par cette soumission de l'Union européenne, on inculque chaque jour aux jeunes Turcs la supériorité de la race turque et de l'islam.
Les responsables du génocide arménien tels que Talât, Enver et Cemal sont honorés sans cesse par les hommes politiques, militaires et par les grands médias.
Or, pour pouvoir prendre place dans l'union des pays démocratiques, la Turquie doit reconnaà®tre tous les crimes génocidaires et même fratricides commis non seulement par le Sultan Rouge, ou la dictature d'Ittihad et Terakki, mais aussi par la République de Turquie.
Né pendant la période républicaine, j'ai été témoin de l'envoi des citoyens non musulmans au camp de travail forcé à Askale pendant la deuxième guerre mondiale.
J'ai vécu le pogrom de l'année 1955 contre les Grecs et Arméniens.
Je parle aussi des fratricides, parce que j'ai vécu trois coups d'Etat militaires, plusieurs tentatives de coups d'Etat militaires ainsi que des dizaines de régimes de loi martiale.
Les cibles et victimes des arrestations, tortures, emprisonnements et des pendaisons qui suivent ces coups d'Etat étaient principalement des progressistes turcs et kurdes.
En 1993, à Sivas, 37 intellectuels turcs ou kurdes d'obédience alévite ont été brûlés vifs.
Depuis les années 80, l'armée turque mène une guerre génocidaire contre le peuple kurde sous la bienveillance des Etats-Unis et de l'Union européenne.
Le plus grand poète turc Nazim Hikmet disait dans un de ses poèmes à la sortie de prison :
" Les lampes de l'épicier Karabet sont allumées,
Le citoyen arménien n'a jamais pardonné
Que l'on ait égorgé son père
Sur la montagne kurde »
Aujourd'hui c'est le peuple kurde qui est exterminé sur la montagne kurde !
Il y a quelques années, le négationnisme était si fort que, même un des plus grands musiciens du pays avait censuré cette timide allusion au génocide arménien dans un oratorio qu'il avait composé pour Nazim Hikmet.
C'était honteux.
Une telle autocensure est mille fois plus honteuse que la censure de l'Etat.
Le peuple turc doit absolument briser ce tabou.
La Turquie doit déchirer les mensonges de ses dirigeants et de ses médias, elle doit reconnaà®tre le génocide des Arméniens, Assyriens, Grecs et Kurdes si elle veut vraiment prendre une place honorable dans la famille des pays démocratiques.
Ceci est la condition sine qua non d'une adhésion turque à l'Union européenne.
Lyon, le 24 avril 2009
Dogan à–zgà¼den
http://www.collectifvan.org/article.php?r=4&id=30726