IL N’EST PAS TROP TARD
Si le Petit Prince revenait sur Terre, dans quelques années, pourrait-il encore demander « Dis, Monsieur, dessine-moi un épi de maïs… sans OGM » ? Si la question peut prêter à sourire, elle n’en reste pas moins préoccupante. Existera-t-il encore dans 20 ans du maïs non transgénique sur les cinq continents ? Y aura-t-il encore un espace agricole qui puisse être dédié à la culture de plantes non-OGM sans risque de contamination par des champs voisins ? La biodiversité aura-t-elle encore des droits sur Terre, ou l’aurons-nous définitivement sacrifiée sur l’autel de la production de masse et de la rentabilité économique ?
Si je m’interroge ainsi, c’est que je m’efforce de voir loin. Plus loin que le simple espace temps dans lequel nous vivons aujourd’hui, nous, les citoyens français de ce début de XXIème siècle.
Après tout, qu’est-ce que la biodiversité peuvent se demander certains ? Une lubie de zoologistes, passionnés par quelques oiseaux rares ou moutons à cinq pattes ?
A ceux là, je réponds, non, la biodiversité est tout simplement l’assurance-vie de la planète et de chacun d’entre nous. C’est même l’un des grands enjeux de ce siècle. Car, les grands équilibres naturels résident dans le maintien de cette diversité ; c’est là que ce trouve la capacité du monde à s’adapter aux changements qui s’annoncent, dont le changement climatique.
Pour bien comprendre l’enjeu de la biodiversité, prenons l’image d’un avion en vol qui perdrait un à un ses boulons. A un certain moment la perte d’un énième boulon fera chuter l’aéronef. La perte de ce boulon est le fait générateur de l’accident, et pourtant la chute est conditionnée par la perte de l’ensemble des pièces manquantes !
La réflexion sur les OGM doit être abordée sous cet angle. Avant qu’il ne soit trop tard. Avant que ne cède l’ultime boulon qui causera notre chute.
Le débat sur les OGM est un débat délicat et passionnel.
Pendant trop longtemps, « pro » et « anti » se sont jetés l’anathème et s’entendaient sans réellement s’écouter. Chacun cherchait à « confisquer » la parole à l’autre.
Pour couper court à ce dialogue de sourds, il fallait redonner sa force à la connaissance, notamment grâce à l’expertise des scientifiques. Mais « science, sans conscience, n’est que ruine de l’âme », c’est pourquoi, il fallait adjoindre à cette première série d’experts des spécialistes des « sciences molles », que sont les philosophes et les sociologues.
Ensemble, ils ont été invités à dialoguer dans le cadre du Grenelle de l’environnement.
Sans revenir dans le détail, je rappellerai l’esprit des conclusions de ce groupe de travail.
 Il a été confirmé que la parole est trop souvent confisquée, soit par les tenants des O.G.M., soit par les opposants. C’est la raison pour laquelle il importe que la connaissance reprenne toute sa force, notamment en la nourrissant d’une réflexion scientifique pluridisciplinaire.
 Il faut organiser la gouvernance de cette connaissance : ce fut ma proposition de création d’une haute autorité permettant aux deux collèges, scientifique et sociétal, de se parler, de se comprendre et de sortir de leurs enfermements réciproques.
 Il convient d’édicter, par la loi, les principes de cette gouvernance, principes qui ont été intégralement repris dans le texte du Gouvernement.
Tout au long de nos travaux, mon seul souci, partagé par l’ensemble des membres du groupe de travail, OGM, a été de redonner à un sujet éminemment passionnel la sérénité et l’objectivité qui me paraissaient être les seules valeurs capables de pacifier la société sur ce sujet.
Les conclusions du Grenelle ont été murement réfléchies et débattues. L’ensemble du processus a été validé à l’unanimité par le groupe de travail.
Si le projet de loi initial reprenait l’intégralité des conclusions du Grenelle, le Senat s’est montré beaucoup plus timoré. A « l’esprit de la réforme », les Sénateurs ont préféré la « réforme de l’esprit ». Rien ne devait changer, si ce n’est les esprits rétrogrades que nous étions, nous les gens de terre qui nous opposions aux gens de fer.
Que n’a-ton pas dit lorsque j’ai affirmé que les Sénateurs étaient, pour certains, « actionnés », en clair sous influence de certains lobbies industriels et économiques… ?
Et pourtant, c’est un fait. Nier leur existence relève de l’aveuglement : les lobbys ne sont pas condamnables ; Ils exercent leur influence, c’est leur vocation, ou plus simplement leur métier. A chacun le sien.
Mon « métier » de Sénateur est de défendre les intérêts des citoyens. Pas ceux des grandes firmes internationales, qui redoutent que la recherche procède à des investigations plus poussées notamment quant au maintien de la diversité des espèces, et la perte du dernier boulon.
Je suis inquiet, et d’autres avec moi. Et si aux Etats-Unis, un expert des naufrages-catastrophe signe un pamphlet intitulé « La 11ème heure », c’est bien qu’il existe une prise de conscience à travers toute la planète.
Je ne veux pas que le vivant puisse être breveté comme le souhaiterait certaines firmes. La nature a tous les droits, et l’Homme n’en a qu’un, celui de la respecter, et non de décréter qu’il en est propriétaire, au plan génétique.
Je ne veux pas que la nature s’appauvrisse et que seul subsiste sur terre les semences produites dans quelques laboratoires et qui auront, par pollinisation, détruit la richesse de notre patrimoine naturel.
Je ne veux pas que les agriculteurs deviennent totalement dépendants de quelques firmes, propriétaires de leurs semences, comme de toute la gamme de produits aptes à les entretenir.
J’en appelle à la raison. A celle de mes concitoyens, comme à celle de mes collègues parlementaires, qui a l’heure où sont publiées ces lignes débattent des sujets que je viens d’évoquer.
Il ne s’agit pas là de politique, mais de l’avenir de notre Terre, de celui que nous voulons pour nous-mêmes, et au-delà pour nos enfants.
Oui, la terre est en danger. Non pas, en danger de mort, mais en danger d’infirmité.
Si en disant cela, je heurte certains de mes « amis politiques », je leur demande de prendre le temps de la réflexion.
« Il a été exécuté à 2 heures 38 du matin, mais il bouge encore… » raillait l’un de mes collègues lors de l’examen du projet de loi au Sénat, à propos d’un amendement dont le but était de m’écarter de l’action.
Piètre Politique que celui qui privilégie l’accessoire à l’essentiel.
Nos concitoyens attendent de la politique qu’elle codifie notre société. L’honneur de la politique est de s’élever, et non pas de se contenter « de petites soupes cuisinées dans de petites arrières cuisines » comme le disait un jour Philippe SEGUIN.
Le devoir de la politique est d’intégrer dans des lois à chaque fois que nécessaire l’ardente obligation d’écrire les règles d’un monde où nos enfants, nos petits-enfants auront le droit de vivre. Le Général de GAULLE disait « il n’y a pas de fatalité, il ne saurait y avoir que des renoncements »…
Il n’est jamais trop tard pour bien faire.
Il n’est jamais trop tard pour agir en responsables.
Jean-François Le Grand, Sénateur et Président du Conseil Général de La Manche
A propos de Jean-François Le Grand
Fondateur du Parc Régional des Marais du Cotentin et du Bessin ; chargé entre 1993 et 1994 par le Premier Ministre d’une mission parlementaire auprès de M. BARNIER, Ministre de l’environnement et concernant la protection de l’environnement rural ; rapporteur pour la commission des affaires économiques et du plan du Sénat de la loi relative au renforcement de la protection de l’environnement en 1994-1995 ; nommé rapporteur du projet de loi portant codification de la loi « environnement » et auteur d’un rapport d’information « NATURA 2000 : de la difficulté de mettre en œuvre une directive européenne » pour le Sénat, le sénateur et président du Conseil général de la Manche Jean-François Le Grand a une vision claire de la démarche à suivre en matière d’environnement : dans ce domaine, plus qu’ailleurs, pour agir local, il faut savoir penser global.
La mission de Jean-François Le Grand au Grenelle de l’Environnement en tant que président du groupe de travail traitant de la biodiversité et président de l’intergroupe sur les OGM est la suite logique de son engagement de longue date pour l’environnement.
Séverine Oger
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