Sans les déductions fiscales, la restauration et la remise à niveau de nombreux monuments historiques, depuis une quarantaine d’années, n’auraient pu être menées à bien. Et beaucoup reste à faire si on en croit le dernier rapport du ministère de la Culture sur l’état du patrimoine.
Le ministère de l’Economie, de l’Industrie et de l’Emploi vient de diffuser un Rapport évaluant l’utilisation et l’impact économique et social des dispositions permettant à des contribuables de réduire leur impôt sur le revenu sans limitation de montant. Ce document a été mal interprété, il ne reprend pas l’expression de niche fiscale. Au contraire, il reconnaît le bien-fondé d’une politique très dynamique de restauration du patrimoine et ne remet pas en question la possibilité de financement public. Pourtant, les propositions, bien que présentées dans un esprit de clarification, se traduiraient par une réduction drastique de ce financement. Beaucoup de monuments, dont les plus intéressants, seraient mis en péril dans toutes les régions de France.
Les propriétaires-gestionnaires de monuments classés ou inscrits sont des collaborateurs des pouvoirs publics
Le Code du Patrimoine*, texte de base, leur impartit une mission d’intérêt public. Depuis 2005**, ils ont aussi la responsabilité de leurs monuments devant la collectivité. Le Code général des Impôts*** précise que ces monuments font partie du patrimoine national.
Dès lors, les déductions fiscales ne constituent pas un avantage consenti aux propriétaires-gestionnaires, mais bien une répartition des charges de leur mission, entre l’Etat et eux-mêmes.
De plus, si les monuments « coûtent », ils « rapportent » plus encore à la collectivité :
- les exonérations fiscales représentent environ 30 millions €**** et les subventions, en baisse constante, sont de l’ordre de 15 millions € (-30% depuis 2003, -30% prévus à nouveau sur la seule année 2008) ;
- mais les monuments sont des contributeurs au financement de la collectivité : impôts d’Etat, taxes foncières, cotisations sociales pour leurs salariés, etc ; ces contributions représentent plus de 90 millions € pour la collectivité.
Il n’y a aucune raison d’alourdir encore leur contribution.
La tentation d’instaurer deux catégories de charges, loin de clarifier, conduirait à une impasse
Le rapport Lagarde propose de distinguer :
1) les charges spécifiques aux monuments historiques déductibles sans plafond ;
2) les autres charges, nettes de revenus correspondants, plafonnées à 10.700 €, le même plafond que pour les propriétaires de maisons « ordinaires ».
Mais toutes les charges des monuments historiques sont plus ou moins spécifiques :
- Tous les travaux, importants ou non, doivent être réalisés dans le respect de l’édifice et supportent des contraintes strictes, ce qui engendre des surcoûts élevés (environ 30% selon les travaux) ;
- Les charges de gardiennage, de maintenance, d’assurance et de taxe foncière, sont le plus souvent sans commune mesure avec celles d’une maison « ordinaire » ;
- Le monument historique doit rester ouvert aux visites durant de longues périodes, même si peu de visiteurs se présentent, ce qui rend cette activité déficitaire.
Dès lors, comment déterminer ce qui est spécifique de ce qui ne l’est pas ?
En outre, la référence aux maisons « ordinaires » serait dépourvue de signification. Ceux-ci produisent des loyers et ne sont déficitaires que de façon occasionnelle, alors que la plupart des monuments historiques ouverts au public sont structurellement déficitaires.
Plafonnement et bonne gestion des monuments historiques sont d’ailleurs incompatibles
En effet, tout plafonnement des dépenses atteindrait au premier chef les monuments les plus grands ou les plus dégradés. Or ce sont souvent les plus intéressants, et en tout cas, ceux qui méritent le plus d’attention et de soutien.
La recherche de la clarification doit emprunter d’autres voies et éviter les effets pervers de la fausse bonne idée
La Demeure Historique, association reconnue d’utilité publique qui groupe 2.500 monuments classés ou inscrits, dont la moitié sont ouverts au public, partage le désir de clarification exprimé par le rapport Lagarde. Elle se réjouit que ce rapport reprenne une de ses propositions visant à encourager les projets des propriétaires-gestionnaires des monuments historiques qui inscrivent leur action dans la durée. D’ailleurs, les propositions que la Demeure Historique a transmises il y a quelques mois à la Commission des Finances de l’Assemblée Nationale ont le même objectif de clarification, tout en permettant d’améliorer la préservation de l’intégrité des monuments historiques privés et le maintien d’une équité vis-à-vis des propriétaires-gestionnaires qui supportent des contraintes de plus en plus lourdes et coûteuses au profit de la collectivité (travaux, sécurité, déficit résultant de l’ouverture au public…).
« Nous avons l’impression d’être condamnés à une ‘double peine’ par le Gouvernement ; les subventions de l’Etat ont déjà quasiment disparu, et, pour économiser 30 millions €, la réforme fiscale envisagée aurait des conséquences catastrophiques au niveau local : un grand nombre de monuments seraient contraints de stopper le processus de restauration et de fermer leurs portes au public, supprimant des centaines d’emplois directs et indirects, notamment dans les entreprises spécialisées qui interviennent sur les sites et dans les services liés au tourisme », regrette Jean de Lambertye, président de la Demeure Historique.
*Reprenant la loi de 1913, **L’Ordonnance du 8 septembre 2005, ***Article 41 H de l’annexe III, ****Estimation de la Demeure Historique reprise par le rapport Lagarde
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Françoise Barquin