Si je m'interroge sur le fait de savoir pourquoi Hervé Guibert, je dois bien admettre que je ne trouve guère de réponse convaincante. Des circonstances, certes, qui se conjuguent à un moment donné, ont placé sur mon chemin tantôt son visage, tantôt sa voix, tantôt, synthétisant les deux et en révélant les arcanes, ses textes. De fausses raisons, qu'une approche purement intellectuelle fabrique après coup, surgissent bien ici ou là sur le lac étale de la conscience. Mais c'est surtout, si je procède à une introspection en profondeur, les contradictions entre ma perception du personnage public, de l'homme et de l'œuvre qui confirment depuis mes premières lectures de ses romans l'attrait au départ superficiel pour la beauté d'un visage, d'une évocation textuelle ou d'un regard apeuré. Non que j'émette quelque réserve que ce soit, a priori, sur cet œuvre atypique, immédiat, et tout entier tourné vers la dissolution du style, la spontanéité de l'instant, la tentative asymptotique de fusion entre le réel vécu et son compte-rendu littéraire. Hervé Guibert utilise la page blanche comme un miroir de la vie, miroir dont le reflet, s'il semble parfois déformer quelque peu les événements, au regard de ses amis notamment, renvoie en fait à une vérité plus profonde qui correspond à sa perception des choses de ce monde. La persévérance d'Hervé dans la construction de sa légende, dans sa préparation de l'après vie, ne laisse pas d'étonner celui qui se penche sur son cas. Son épouse Christine, son éditrice Teresa Cremisi, témoignent par exemple de l'attention méticuleuse qu'il porte, jusque dans les derniers jours de sa vie, à classer articles et manuscrits mêmes les plus anciens ou les plus " anodins ", à les ranger dans des chemises colorées, à les regrouper sous un titre générique et à déterminer l'ordre dans lequel, après lui, ces témoignages de son existence devront être publiés. Hervé Guibert, on le sait, eut la passion du cinéma, du théâtre et des stars. Ses écrits sur le septième art ne laissent aucun doute à ce sujet. Son expérience adolescente des planches, sa collaboration avec Patrice Chéreau pour le scénario de L'Homme blessé, le film qu'il réalise pour TF1 dans les derniers mois de sa vie, en attestent également. Hervé Guibert se fabrique le personnage qu'il veut devenir, le plus près possible de ce qu'il croit ou sent être lui, le plus loin possible de ce qu'il pense être un prédestination familiale, d'où son rejet des convenances classiques malgré l'amour de ses parents. Il échafaude son scénario de vie, qui prend dès le départ, avec La Mort propagande, publié chez Régine Deforges en 1977, des allures de scénario de mort, et s'y conforme jusqu'au bout.