Une tribune d'Anne BEAUVAL, Directrice de l'Ecole des Mines de Nantes, et de Carl RAUCH, Enseignant-chercheur et ingénieur, expert en méthodes d'apprentissage en sciences et technologie.
La dimension technologique est une composante indispensable du métier d'ingénieur et, au-delà, pour le développement de toute industrie.
Les efforts croissants que nous devons cependant déployer, dans les écoles d'ingénieur, pour donner à nos étudiants les bases indispensables à leur futur métier, nous ont conduits à nous interroger sur l'origine des lacunes technologiques et expérimentales constatées année après année.
Les rudiments de la technologie et des techniques sont trop négligés
Pour répondre à cette question, il nous faut remonter à la source, c'est-à-dire aux apprentissages dispensés durant les cycles primaires et secondaires. Le constat est alors particulièrement frappant : on apprend de moins en moins aux jeunes les rudiments de la technologie et des techniques.
Si, en direction des plus jeunes, la technologique subsiste comme support de la pratique scientifique, elle n'est plus, sauf exception, enseignée en tant que telle. Dans le secondaire, la conception par ordinateur remplace peu à peu le travail de la matière, cette matière qui résiste et qui nécessite tant de réflexion pour être transformée. Toutes disciplines confondues, on dispense de plus en plus aux enfants une formation déconnectée de la réalité, où l'outil devient une boîte noire incompréhensible.
Le tout numérique peut avoir des effets désastreux lorsqu'il est utilisé trop systématiquement et sur des enfants trop jeunes, car il contrecarre leur besoin de contact avec le monde matériel. Or, ce contact est capital pour apprendre et acquérir confiance en soi. La disparition progressive des enseignements technologiques et des savoir-faire techniques réduit la capacité des enfants à explorer par eux-mêmes le monde qui les entourent, à découvrir le fonctionnement d'un appareil simple, et leur fait perdre leur curiosité face à des objets ou situations inconnues. Or, cette capacité à explorer l'inconnu est indispensable à leur développement ultérieur, qu'il s'agisse d'apprendre un langage de programmation, de mener un projet scientifique, ou même de résoudre un problème de leur vie quotidienne.
La technologie est indispensable pour développer le sens pratique
Les rudiments de la technologie et des techniques sont indispensables pour appréhender le monde qui nous entoure et être en mesure d'y participer pleinement. Ils le sont tant pour l'enseignement que pour l'évolution des sciences elles-mêmes car, à de très rares exceptions près, les avancées scientifiques et le perfectionnement des technologies expérimentales sont en étroite interaction. Aujourd'hui, les allers retours entre les deux domaines s'accélèrent de manière vertigineuse, comme le prouvent les découvertes et les progrès en physique fondamentale, en génie génétique, dans les neurosciences, etc.
A l'inverse des années 1950, où la technologie était encore, dans l'ensemble, à la portée de l'entendement commun (leviers, engrenages, carburant, etc.) et perceptible « au bout des doigts » des élèves, la situation actuelle est bien évidemment devenue beaucoup plus complexe : il serait vain pour le profane de chercher à comprendre les principes technologiques d'un smartphone !
Et pourtant, développer une formation de base à la technologie, socle solide pour les élèves et qu'ils pourront utiliser toute leur vie, constitue un enjeu déterminant pour leur savoir comme pour leur savoir-faire. Leur permettre de maîtriser les fonctions technologiques élémentaires, les processus et les transformations de base, c'est leur donner un sens pratique, une capacité à utiliser avec bon sens et efficacité leurs connaissances, un apprentissage réellement basé sur la réalisation, l'essai, l'expérimentation, bien plus structurant que l'apprentissage théorique.
Ces enseignements notre société en a besoin !
Ce socle solide, forgé dans l'apprentissage de la technologie et des savoir-faire techniques est aussi indispensable à notre société que les facultés de théoriser ou d'émettre des hypothèses. Cela vaut pour notre économie, car les compétences technologiques sont les ressorts des activités industrielles et artisanales. Cela vaut pour notre planète, car sans ce socle, faire le lien entre l'objet technologique dernier cri et les ressources naturelles nécessaires à sa production devient impossible. Cela fonde enfin et plus largement notre projet de société, car se confronter à la connaissance des lois (physiques, biologiques, etc.) qui régissent notre monde, permet à chacun de construire une pensée rationnelle et objective, source des valeurs qui fondent la démocratie et la citoyenneté.
L'enjeu est primordial. Il consiste à redonner à l'apprentissage de la technologie toute la place qui lui revient : non pas seulement sur un écran, mais davantage par la manipulation de la matière, en repartant de systèmes simples et en les complexifiant par assemblages successifs, dans le cadre d'un parcours progressif. Il faut en effet développer une véritable pédagogie de l'investigation à la technologie et aux savoir-faire techniques, en créant des ressources pédagogiques permettant la découverte progressive du monde des technologies, ceci dès le plus jeune âge, et en la rendant disponible aux enseignants. Il faut à nouveau faire découvrir aux élèves comment on fabrique des matériaux usuels tels que le papier ou le verre, mais également le vinaigre, le savon, comment on transmet un mouvement, une information…
Notre société en a besoin. Nous devons nous y employer.
Anne BEAUVAL & Carl RAUCH
À propos de l'Ecole des Mines de Nantes
L'École des Mines de Nantes est une école d'ingénieurs généralistes qui dépend du ministère de l'industrie. Elle a construit son offre de formation en s'appuyant sur ses relations avec le monde de l'entreprise, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Forte d'une riche expérience en ingénierie pédagogique, l'Ecole propose cinq types de diplômes : Ingénieur, ingénieur par apprentissage spécialisé en ingénierie logicielle, masters internationaux, doctorat. L'École accueille près de 1000 élèves dans ses différentes formations. L'École est membre de l'Institut Mines-Télécom, le 1er groupe de grandes écoles d'ingénieur et de management de France (13 écoles, 12 000 étudiants).
L'École des Mines de Nantes forme des ingénieurs en s'appuyant sur une recherche de pointe.
Ses domaines d'excellence se regroupent en deux grands pôles :
• Les sciences et technologies de l'information : informatique, systèmes d'information, automatique, productique, logistique
• Les sciences et technologies de l'énergie et de l'environnement : énergétique, biocarburants, génie des procédés pour l'environnement, physique subatomique fondamentale et nucléaire pour l'énergie, l'environnement, la santé et la société
L'École est organisée en cinq départements de recherche intégrés dans des UMR toutes évaluées A ou A+ :
• Département Informatique (UMR LINA, équipes INRIA)
• Département Automatique et productique (UMR IRCYNN)
• Département Systèmes énergétiques et environnement (UMR GEPEA)
• Département Physique subatomique et technologies associées (UMR SUBATECH)
• Département Sciences sociales et de gestion (EA LEMNA)
Pour en avoir plus :
www.mines-nantes.fr