La Caisse d’allocations familiales de Lyon est-elle plus généreuse avec ses administrateurs qu’avec ses allocataires ? C’est ce que semble penser le Corec (Comité régional d’examen des comptes de sécurité sociale). Interpellé par une ambiance délétère au conseil d’administration, la Direction régionale des affaires sanitaires et sociales (DRASS) a diligenté une enquête très approfondie au sein de l’organisme
en 2003 et 2004. Ce que les enquêteurs ont découvert et ont transmis à la Cour des comptes dépasse parfois l’entendement. Selon le rapport du Corec, dont nous avons eu connaissance, plus de 67 000 euros auraient été versés indûment aux administrateurs de la CAF, dont 50 242 à la seule présidente, Marie-Christine Vionnet, représentante de l’Udaf (Union départementale des associations familiales).
Non contente d’avoir bénéficié d’un ordinateur, d’un téléphone portable ou d’une Renault Laguna -« injustifiée », selon les enquêteurs- Marie-Christine Vionnet aurait surévalué les temps de transport remboursés au titre de sa fonction. Selon le Corec toujours, les temps de trajets estimés par la présidente de la CAF 2003 et 2004 représenteraient plus du double des trajets réellement effectués.
« Aucun fondement juridique »
A ces longs trajets s’ajoute la participation à des « réunions internes » ainsi qu’à des « groupes de travail » sans « aucun fondement juridique et qui n’auraient pas dû ouvrir droit à indemnisation ». Pour chacune de ces réunions, la CAF accorde une ICF (Indemnité compensatoire forfaitaire) de 30 euros à l’administrateur, et rembourse à l’employeur les salaires perdus, s’il est salarié (la présidente de la CAF est infirmière de nuit dans l’Ouest lyonnais), ainsi que les frais de déplacement. Autre sujet d’interrogation : les « affaires courantes » que Mme Vionnet passait beaucoup de temps, semble-t-il, à gérer dans les murs de la CAF, à la Part-Dieu. « Les vérificateurs s’interrogent sur ce type de déclaration et sur la possibilité pour un administrateur de passer un temps non négligeable (plus de 60 heures par mois) au siège d’un OSS (Organisme de sécurité sociale, ndlr) sans y être autorisé et donc non assuré pour ses déplacements. Les vérificateurs souhaitent également rappeler qu’un administrateur, quel qu’il soit et quel que soit son statut, n’est pas un agent de la CAF ; le mandat de président ou d’administrateur n’a pas vocation à remplacer l’emploi de la personne concernée », peut-on lire dans le rapport.
Autre curiosité : la présidente a déclaré, en vue d’indemnisation, ses participations à des réunions dites « extérieures » (missions de représentation, inauguration, etc) nombreuses et variées. Résultat, selon le Corec : plus de 30 000 euros de remboursements indûs pour 2003 et 2004. Plus grave : certains administrateurs de la CAF, se seraient fait doublement indemniser leurs vacations aux réunions de l’OPAC du Rhône. Ces vacations étaient indemnisées à la fois par l’OPAC (68 euros) et par la CAF (30 euros). La Corec sous-entend qu’une telle pratique pourrait être pénalement qualifiée.
Au total, l’ensemble des sommes litigieuses représenteraint plus de 67 200 euros. Outre la présidente (50 242 euros), une dizaine d’administrateurs auraient ainsi indûment émargé, dont le 1er vice-président, représentant de FO (4 846 euros) ou le 2ème vice-président, représentant de l’UPA (2 586 euros). Des administrateurs CGT et CFDT seraient également concernés, dans une moindre mesure. L’affaire a été jugée suffisamment grave pour que la Cour des comptes mentionne en toutes lettres la CAF de Lyon dans le rapport national qu’elle vient de publier sur la Sécurité sociale. De son côté, le nouveau directeur général de la CAF de Lyon, a envoyé début septembre une notification ordonnant la restitution des sommes perçues et non dues. Mais la présidente n’a pas l’intention de rembourser: « Non seulement je ne souhaite pas rembourser, mais je vais demander plus », souligne-t-elle, en démontant point par point les arguments des limiers de la Drass.
« Les sommes qui nous ont été versées l’ont été par l’ordonnateur (le directeur général de l’époque, ndlr) et validées par l’agent comptable. C’était à eux de faire les vérifications », explique-t-elle. Selon Marie-Christine Vionnet, par ailleurs, les règles auraient changé en cours de route, sans que les administrateurs en soient informés. « Depuis trente ans, les administrateurs de la CAF qui participaient à des réunions à l’OPAC touchaient une double vacation. Et là, tout d’un coup, le Corec nous dit que c’est illégal. On ne pouvait pas le savoir ». Même argument pour les réunions internes, « qui existent depuis 1972 et servaient à préparer les conseils d’administration. On ne se voyait pas pour prendre le thé…»
Quant aux participations aux nombreuses « réunions extérieures » qui ont fait exploser le budget, elles seraient dues au « nombreux mandats » que le conseil d’administration a attribués à Marie-Christine Vionnet : « Que voulez-vous, il m’arrive de faire deux inaugurations par jour. Tout cela crée des frais », ajoute-t-elle. Enfin, elle réfute avoir gonflé ses déplacements : « Ils prennent comme référence le site de Mappy. Mais quand je viens de Saint-Genis-Laval le matin, il y a du monde et je mets plutôt trois quarts d’heure que 20 minutes».
« Incohérences »
Et de dénoncer les « incohérences » du rapport du Corec. Des arguments qui, semble-t-il, n’ont convaincu ni les enquêteurs de la Drass, ni la cour des Comptes. Les magistrats de la cour des comptes n’ont d’ailleurs que très modérément apprécié les réponses de la présidente de la CAF de Lyon, dans le cadre de la procédure contradictoire. Dans un courrier cinglant dont nous avons eu connaissance, ils dénoncent « une volonté polémique inacceptable. La mise en cause, infondée, de l’impartialité des auditeurs du Corec est parfaitement déplacée. La méthode consistant à faire intervenir le témoignage d‘élus (des maires, ndlr) révèle une ignorance préoccupante des règles de la déontologie dans ce domaine ».
Le directeur général de la CAF n’a pas souhaité s’exprimer sur le sujet. En revanche, Lucien Jullian, le directeur adjoint, se fait l’avocat du conseil d’administration et de sa présidente. « Suite à ce rapport, l’organisme n’a pas été mis sous tutelle. Des réserves ont été émises et des recommandations faites, mais les comptes ont été approuvés. Il y a visiblement un point de désaccord entre le Corec et les personnes mises en cause. C’est à la justice de trancher », explique-t-il. Selon ce dernier, les ratios de gestion de la CAF de Lyon seraient parmi les meilleurs de France. Reste qu’après l’installation du nouveau conseil d’administration, en 2001, les « frais de conseil », qui servent à indemniser les administateurs, ont bondi de 127%. Ils s’établissent aujourd’hui à 132 000 euros à Lyon, contre 51 000 à Marseille et 72 000 à Paris. « Ces frais sont importants, car le conseil a été rajeuni : quand un administrateur est retraité, la CAF n’a pas à rembourser son salaire », précise Marie-Christine Vionnet. Les enquêteurs de la Drass, eux, considèrent comme « exorbitant et injustifié » le remboursement intégral des salaires de la présidente par la CAF. Cette dernière ne devrait pas être candidate à sa succession lors des prochaines élections à la CAF, prévues la semaine prochaine. L’Udaf, l’association dont elle est issue, se dit « satisfaite » de son travail à la tête de la CAF et considère qu’elle a fait l’objet « d’une guerre des chefs ».
François Sapy
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