4 questions à François Chevallier, économiste-stratégiste
Lors d'une récente manifestation organisée par Baker Tilly France en partenariat avec la DFCG, François Chevallier, économiste-stratégiste au sein de la Banque Leonardo, banque de gestion privée partenaire de Baker Tilly, a analysé la crise de cet été et donné des hypothèses de croissance pour les entreprises françaises.
En préambule, Pascal Ferron, vice-président grands comptes Baker Tilly, rappelle que la rentrée, pour les directeurs financiers comme pour les directeurs généraux, patrons de business units ou entrepreneurs, est généralement annonciatrice de la préparation prochaine des révisions de budgets, comptes prévisionnels, plans à moyen terme et autres business plan… Or, lors de ces exercices parfois périlleux, se pose inévitablement la double question des niveaux de prévisions de chiffres d'affaires et du meilleur emploi de sa trésorerie.
Il est ressorti, au cours des précédentes rencontres DFCG/Baker Tilly, que la crise avait profondément changé les perspectives et les niveaux de visibilité. Mais maintenant s'ajoutent également les incertitudes, parfois graves et légitimes, liées aux dettes souveraines et à leur résorption future. Depuis cet été, les marchés financiers nous ont alertés par des soubresauts à l'amplitude parfois significative.
Alors comment intégrer les évolutions récentes et les perspectives liées au ralentissement mondial de la croissance, combiné aux risques liés à la dette européenne, dans les hypothèses des prochains budgets et business plans des entreprises tout en maintenant une gestion optimisée de la trésorerie nette ?
> La Bourse a beaucoup baissé cet été, jusqu'à 30 %. Aviez-vous prévu cette baisse, et comment l'interprétez-vous, sachant que les actions ont la réputation d'anticiper ?
François Chevallier : Franchement, nous avons été surpris, car le ralentissement économique perceptible sur le climat des affaires (indices de directeurs d'achat) ne menaçait pas de dégénérer en récession. Le trouble est surtout venu de la crise des dettes souveraines des deux côtés de l'Atlantique. La surprise fut d'autant plus grande que l'Europe s'accordait le 21 juillet sur un plan ambitieux, qui organise la participation du secteur privé au sauvetage de la Grèce et permet au Fonds européen de stabilité financière d'acheter des obligations sur le marché secondaire. Ce plan a d'ailleurs été bien accueilli par les marchés, contribuant à une détente sensible des taux d'emprunt d'Etat des « Pigs » (Portugal, Irlande, Grèce et Espagne). Par ailleurs, Démocrates et Républicains parvenaient finalement à un accord sur le relèvement du plafond de la dette, évitant aux Etats-Unis un défaut de paiement technique à partir du 2 août.
C'est l'engouement continu pour les valeurs refuges, or et franc suisse, là où les investisseurs auraient dû être rassurés, qui nous a alertés dès le 3 août. A défaut donc de prévoir la baisse et son ampleur, notre banque a su réagir en couvrant la moitié de l'exposition actions de notre fonds diversifié sur la base d'un Cac 40 à 3 500 (parti de 4 000 au début de l'été, le Cac 40 est tombé en dessous de 2 800).
Quant au message économique de la Bourse, il faut le relativiser : à la différence de 2008, la chute des actions est européenne et non mondiale et concerne surtout les sociétés financières. Ainsi, quand le Cac 40 et l'EuroStoxx abandonnent 21 % depuis le début de l'année, le S&P 500 (Standard & Poor's) ne perd que 8 % tandis que les banques européennes, elles, baissent de 41 %. Aujourd'hui, la crise est davantage bancaire qu'économique, mais demande à être résolue (par recapitalisation des banques) pour ne pas engendrer un « credit crunch », qui serait fatal aux affaires.
> Vous écartez l'éventualité d'une rechute dans la récession, d'un « double dip » (deux périodes de récession entrecoupées par une brève période de croissance). Pourtant il existe des points communs avec l'automne 2008, notamment le stress bancaire ?
C'est vrai, il y a eu au mois d'août un indicateur économique inquiétant, l'indice de la Banque de Philadelphie, mais qui n'a pas été corroboré à la rentrée par les statistiques américaines, notamment l'indice ISM (indice américain des directeurs d'achat) et l'emploi. D'autre part, l'incapacité des Grecs à tenir leurs engagements budgétaires a relancé la spéculation sur un défaut de paiement de la Grèce et sa sortie de l'euro. Ce serait comme la faillite de Lehman Brothers à l'automne 2008, sans avoir cette fois les moyens budgétaires d'amortir le choc. Mais selon moi, si le risque d'une rechute existe, sa probabilité est faible.
En approuvant par voie parlementaire le plan européen, les pays de la zone euro ont affiché leur solidarité par rapport à la Grèce malgré les désaccords affichés publiquement. Il est vrai que les marchés –obligataires et actions – avaient alerté les partenaires européens de la Grèce sur les risques de contagion pas seulement au Portugal, à l'Irlande et à l'Espagne, mais aussi à l'Italie, contrainte de payer ses taux longs 300 points de base au-dessus de ceux de la France alors qu'elle n'est pas « secourable » ; contagion aux Etats et contagion aux banques. Si on se félicite que les plans de sauvetage épargnent aux Etats de payer des taux assassins sur leur dette publique (jusqu'à 25 % sur le 10 ans grec), à la différence de l'Argentine au début des années 2000, ces taux pèsent en revanche sur leurs créanciers, c'est-à-dire le système financier européen. Le stress bancaire est comparable à celui de la fin 2008. Les banques européennes ne sont plus valorisées que 4 fois leurs résultats futurs contre un niveau normal de 11 et elles ne se prêtent plus entre elles comme le montre la remontée à 90 points de base de la prime interbancaire. Il y a un risque de pénurie de crédits pour les entreprises.
Enfin, le ralentissement chinois a été exagéré, tout comme le risque de rechute américain. Aux Etats-Unis, la profitabilité des entreprises – le taux de profit des sociétés non financières est à son plus haut niveau depuis la fin des années 60 – et le désendettement des ménages, qui ont renoué avec le crédit à la consommation depuis octobre 2010, écartent tout risque de récession.
> Il suffirait donc de résoudre la crise européenne pour repartir d'un bon pied, comme avant ?
Hélas non ! L'assainissement des finances publiques va peser durablement sur la croissance, d'autant que les Etats-Unis découvrent la croissance molle à l'européenne. Bien que le service de la dette ait retrouvé, à 11,1 % du revenu disponible, son plus bas niveau depuis 1994, les ménages américains n'ont plus la même capacité d'endettement, les taux d'intérêt étant à un plancher et les banquiers refroidis à l'idée de prêter à nouveau en fonction de la richesse. Exit l'effet de levier de l'endettement privé qui donna aux Etats-Unis dans les années 90 une croissance de pays émergent.
> Concrètement, puisque nous sommes dans la préparation des prochains budgets, quelles hypothèses de croissance et quelles hypothèses financières retiendriez-vous ?
Même si la BCE n'a rien fait sur les taux le 6 octobre, je pense qu'elle reviendra d'ici la fin de l'année à 1 % sur le taux de refinancement bancaire. L'euro continuera de baisser contre le dollar, victime du différentiel de politique budgétaire. Mais son potentiel baissier est limité par la faiblesse du billet vert (1,25 $/€). La croissance devrait ralentir à 1,25 % l'an prochain en France et à 1 % dans la zone euro. Les pays industrialisés entrent dans une période durable de croissance molle en raison de leur endettement public et/ou privé. Il faut aller chercher la croissance dans les pays émergents. Attention, ce n'est pas forcément la même histoire pour les actions !
En conclusion, Pascal Ferron donne quelques pistes aux entrepreneurs : « L'une des caractéristiques des entrepreneurs et des patrons de business units est l'innovation et l'audace créatrice. Les directeurs financiers doivent être des entrepreneurs raisonnés. Dans la réalisation de plans stratégiques et de business plans, ils doivent épauler les directions et les opérationnels. Ne croyons pas au « grand soir catastrophique » (sortie de la Grèce et éclatement de l'Euro…), de toutes les façons s'il arrivait, vous pourriez tous refaire vos business plan et ce ne serait qu'un moindre mal…
La croissance va être plus que molle pour les années à venir dans les pays occidentaux, et ce globalement, avec des marchés mûrs en perte de vitesse et d'autres en croissance mais faiblement « turbo ». Par contre, aujourd'hui encore, la crise est financière et la situation sous-jacente reste globalement bonne. Cela signifie qu'intégrer une croissance organique supérieure à l'inflation dans un business plan doit être synonyme de prise de parts de marchés. Ou alors il faudra aller chercher la croissance organique ailleurs, dans d'autres pays. Dans les deux cas il faudra se donner les moyens de sa stratégie, qui sera longue et coûteuse. Cela implique également qu'une part importante de la croissance se trouvera dans la croissance externe, en réalisant des acquisitions. Mais dans un tel contexte, attention à ne pas racheter n'importe quoi, à être très sélectif afin que la croissance soit effective, à valeur ajoutée, et ne génère pas de la pure « croissance statistique » flattant l'orgueil mais s'avérant finalement destructrice de valeur ou tout simplement contreproductive.
Quant au financement, si vous avez de la trésorerie, elle ne rapportera plus, à dormir, que quelques malheureux pourcents qui ne feront pas le bonheur de votre résultat financier. En revanche la garder en grande partie et financer par ailleurs les acquisitions à moyen et long terme par de la dette financière permettra aux chefs d'entreprise, patrons de business units et aux directeurs financiers de, justement, mieux dormir la nuit, d'amortir les chocs et de ne pas manquer de belles opportunités. Le risque de « crédit crunch » n'étant pas complètement à écarter, on trouvera toujours, comme on a toujours trouvé, du financement moyen terme pour un bon projet ; mais le financement court terme de l'exploitation, non seulement va se raréfier, mais sera de plus en plus difficile à négocier sans solides contreparties, que peu d'entrepreneurs pourront finalement donner.
Surtout ne sombrez pas dans le pessimisme et restez raisonnablement audacieux. Sur le long terme c'est l'audace prudente qui toujours sur-performe ! »
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